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Mathieu Angot - Formateur en apiculture - Conférencier

2015, une "bonne année"...relative

Novembre 2015

Le Figaro l'affirmait sur son site internet le 30 octobre dernier, 2015 serait "une année exceptionnelle" (voir l'article). La production de miel aurait augmentée de 33%, passant de 10 000 à 16 000 tonnes. Quelques jours plus tard sur Europe 1, au journal de 7h00, les journalistes viennent à se demander si finalement, la question des pesticides ne seraient pas réglée, et de saluer les politiques européennes qui sauvent les abeilles...

"Année exceptionnelle", voilà qui est vite dit. Le climat étant depuis trois ans défavorable, et les bonnes années apicoles rares, il en faut peu, très peu, pour voir les journalistes s'extasier devant une soi-disant "bonne année". Décryptons un peu cette information.

Mise en perspective

Tout d'abord, la comparaison avec 2014 est un peu hasardeuse. En effet, l'UNAF qualifiait à l'époque cette saison de "la plus faible de notre histoire". Autrement dit, n'importe quelle année paraîtrait exceptionnelle face à celle, désastreuse, de 2014.

Et puis, regardons de plus prêt ce que veut dire ce chiffre de 16 000 tonnes. Il y a sur le territoire environ 1 250 000 ruches déclarées (chiffre France Agrimer 2012) ce qui représente donc le minimum réel. Ce qui nous donne une production à la ruche de 12 kg maximum. Aucune exploitation ne peut vivre avec de tels rendements, nous sommes donc loin d'une bonne année. Pour relativiser, on doit prendre en compte le fait que les amateurs, (toujours d'après France Agrimer), représentent 45% des colonies d'abeilles, et ont une production faible. Ce qui signifie qu'ils font bien moins de 12 kg/ruche, tandis que les professionnels produisent plus, sans quoi ils mettraient la clé sous la porte.

Pour mémoire, au début des années 90, avant l'apparition des pesticides néonicotinoïdes (voir ici), il n'était pas rare d'obtenir sans effort une moyenne de 80 Kg par ruche. La production de miel était à l'époque beaucoup trop élevée pour la demande, ce qui obligeait les apiculteurs à pratiquer des prix ridicules, de l'ordre de 5 Francs au kilo (soit moins d'un euro pour un pot de miel!). Nous en sommes très loin. En 1994, avec les premiers effets de ce type de molécules, nous étions déjà descendus à 25 000 tonnes, et nous voilà aujourd'hui avec une "année exceptionnelle" à 16 000 tonnes. De quoi relativiser cette bonne nouvelle.

A qui sert la désinformation?

Les hasards de calendrier font que l'on discute en ce moment à la commission européenne sur le fait d'interdire ou non certaines molécules nuisibles pour les abeilles. Malheureusement, il n'y a souvent pas de hasards dans le monde politique et médiatique... Faire passer une année banale pour une production "exceptionnelle" peut être un moyen pour certaines personnes de faire penser que les abeilles vont mieux... Cela arrange bien ceux qui achètent le miel (plus de miel, le prix peut baisser), le gouvernement qui mettra cette "bonne année" sur le compte de son plan de développement de l'apiculture (voir ici), et surtout les vendeurs de pesticides qui y trouveront un argument pour se dédouaner de toute responsabilité.

On voit ici, pour y voir clair dans ce fouillis, l'importance de toujours mettre en perspective les chiffres annoncés, pour tenter de les relativiser et être plus objectif...
Bon courage!