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Mathieu Angot - Formateur en apiculture - Conférencier

Chronique d'un printemps silencieux

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4 janvier 2022

J’ai ouvert ma première ruche il y a un peu plus de dix ans. Depuis, j’ai essuyé des pertes à chaque printemps, que je parvenais assez facilement à identifier. Je modifiais mon apiculture afin de ne plus reproduire les même erreurs, et mes soucis de mortalité avaient presque disparu. Jusqu’au printemps 2021, ou j’ai connu un effondrement spectaculaire de mes colonies avec la perte de plusieurs ruchers entiers. Cette fois, ces dizaines de colonies aux historiques diverses, se sont écroulées soudainement sans raison apparente, sans que je puisse en identifier la cause. Après dix ans sans encombre, j’ai vécu mon premier printemps silencieux.

Au délà du traumatisme que cela produit chez celui qui aime ses abeilles, et de la perte économique que cela peut causer, il y a le fait de ne pas comprendre. Ne pas savoir d’où vient le problème, c’est également ne pas pouvoir éviter que cela se reproduise, et c’est cette impuissance face à un problème qui nous dépasse qui est le plus difficile à gérer. Je vous propose dans cet article de retracer avec moi l’enquête afin de découvrir la cause de la perte de mes colonies.

A la recherche des causes du silence

Avant de conclure à une mortalité massive avec une même cause, j’ai dû observer toutes les ruches. J’ai découvert ces mortalités début janvier, ma dernière visite datant d’un mois auparavant, avec une activité tout à fait normale des abeilles.

A la découverte de l’hécatombe, elles avaient toutes du miel, accessible, juste au dessus du couvain. Celles qui avaient eu du fondant en complément y avaient à peine touché, et il n’y avait aucune trace de pillage malgré les quelques jours de beau temps de l’hiver. La teigne n’avait pas eu le temps de s’installer dans les cadres. J’en conclus donc qu’elles sont toutes mortes en un laps de temps très rapide, car les survivantes n’ont pas eu le temps de piller leurs voisines, et l’état des réserves était le même dans toutes les ruches. Enfin, il n’y avait aucune abeille morte au fond des ruches, ni devant.

Un tapis d’abeilles mortes devant la ruche et sur le plancher?

Si, dans vos ruchers, la ruche décline, et que vous voyez des abeilles mortes s’accumuler devant la ruche… Si ce sont des mâles uniquement, et que nous sommes en fin de saison après la dernière miellée, pas de panique, les faux-bourdons, devenus inutiles à la vie de la colonie, sont tués et sortis de la ruche. Si ces mâles sont sortis en pleine saison, alors la colonie sort des bouches à nourrir, elle a faim, elle peut mourir de famine dans les jours à venir.

Si ce sont des ouvrières, il y a un problème plus urgent encore. La colonie est en train de mourir de faim, il faut agir très rapidement.

La solution court terme : Nourrir. On évitera le sirop, qui attire les colonies voisines et favorise le pillage, pour lui préférer le fondant, le candi, ou le miel tout simplement. Si vous nourrissez au miel, préférez le miel en rayon, toujours dans l’optique d’éviter le pillage.

La solution long terme : Votre colonie n’est peut-être pas adaptée à son environnement. C’est un phénomène courant, les importations et la sélection des apiculteurs influençant la génétique locale depuis des dizaines d’années. Vous pouvez tenter de déceler quelles colonies sont les plus adaptées, et les diviser pour les reproduire. Délaissez les génétiques inadaptées, cela nuit à l’abeille à long terme.

Si vous observez ces symptômes et que la ruche a encore du miel dans ses rayons, le problème est plus grave : il s’agit d’une violente intoxication. Les butineuses sont sans doute victimes d’un pesticide épandu sur une parcelle proche. Notez que lorsque ce type d’intoxication est constatée, cela veut souvent dire que l’agriculteur n’a pas respecté les règles d’épandage.

Ayant exclu le problème de famine, j’ai pensé à une défaillance de mes reines, ce qui peut arriver lorsqu’elles sont trop âgées. En reprenant mes notes sur chaque colonie, j’ai constaté qu’elles avaient des âges divers, de un à trois ans, et qu’elles étaient issues de quatres souches différentes, certaines de mes élevages, d’autres produites naturellement par les colonies. Cette diversité d’origine et d’histoire exclut de fait une défaillance génétique ou de vieillissement des reines.

Il y a une petite boule d’abeilles morte sur les cadres ?

On retrouve parfois, au printemps, une ruche presque vide avec une boule d’abeilles mortes sur les cadres. Il peut y avoir plusieurs causes à ce constat. Premièrement, cela peut être une mort naturelle, due à un hivernage en trop petite grappe. La colonie, pas assez forte pour entamer une reprise de ponte, meurt. Cela peut également être le fait du varroa, parasite de l’abeille, ou d’un pathogène appelé Nosema Ceranae. Cette faiblesse peut également être partiellement causée par un hivernage sur des ressources polluées en produits toxiques : pollen et nectar récoltés sur des parcelles traitées aux insecticides, fongicides, ou herbicides.

La solution court terme : Avoir des colonies fortes à l’hivernage. On évitera les essaims artificiels en fin de saison, le prélèvement trop tardif du miel.

La solution long terme : On peut jouer sur l’emplacement des ruches, en favorisant des zones moins polluées et riches en pollen, pour favoriser les défenses immunitaires des colonies.

J’ai continué mon enquête en me demandant si j’avais correctement hiverné ces ruches. Mes colonies auraient pu être trop faibles pour reprendre la saison. Lorsque l’hivernage est effectué avec trop peu d’abeilles, il arrive que la reprise soit trop dificile pour la grappe, trop faible, qui s’éteint au printemps. J’ai pu également exclure cette raison, car une majorité de colonies étaient en Dadant et sur huit à dix cadres, ce qui représente de belles colonies en population. Auraient-elles alors été victimes d’un problème sanitaire ?

La colonie décline ?

La reine peut être âgée de quatre à cinq ans, et dans ce cas les abeilles doivent la changer si tout se passe bien. Mais parfois, c’est une jeune reine qui pose problème. Dans ce cas, c’est vers les maladies et parasites qu’il faut chercher, et particulièrement le varroa.

Le varroa : Acarien parasite de l’abeille, il se développe dans le couvain au fil de la saison. Si la colonie n’arrive pas à le gérer, il peut participer à son effondrement.

La solution court terme est de traiter la colonie, si possible en fin d’été et avant de constater le déclin, on procédera à des comptages pour s’assurer que l’infestation n’est pas trop avancée.

La solution long terme est de favoriser les colonies sachant gérer le varroa seule, sans intervention de l’homme, en les reproduisant par division.

Pour vérifier l’infestation de mes colonies, j’ai commencé par relire mes notes, car je compte régulièrement les varroas présents dans mes ruches, soit avec des langes graissés, soit au sucre glace. Dans mon cas, après un traitement d’été, et avec des comptages sur un tiers des colonies de chaque rucher, l’infestation était de l’ordre de zéro à deux varroas par 24h sur des langes graissés. Pour des colonies de cette taille, c’est dérisoire et ne constitue pas une menace assez forte pour justifier un déclin si rapide. J’ai donc pensé à orienter ma recherche sur des maladies du couvain.

Les maladies du couvain

La loque européenne : Si vous découvrez du couvain pâteux ou liquide, blanc à beige, voir marron dans certains cas, dans les cellules operculées en les ouvrant, vous êtes en présence d’une loque européenne. Cela peut apparaître à cause d’une carence de protéines, donc de pollen. On voit également ce type de soucis lors de traitements sur des cultures trop proches des ruches ou sur la zone de butinage.

La solution court terme : Il faut déplacer les colonies hors de cette zone infectée ou sans pollen. Si la loque est minime et ne concerne que quelques cellules de couvain, ce déménagement la rétablira. Si elle est trop avancée, procédez à un transvasement, à la destruction des rayons par le feu, et à la désinfection de la ruche.

La solution long terme serait de trouver un environnement sain pour vos colonies. Exempt de traitement sur les cultures butinées, avec des pollens variés toute la saison. La sélection de colonies ne développant jamais la maladie est également souhaitable.

La loque américaine : Si une forte odeur émane du couvain, qu’il est remplacé par une bouillie marron, vous êtes peut-être en présence d’une loque américaine. Pour en être certain, il faut procéder au test de l’allumette. Avec une petite branche, touillez une cellule infectée, puis éloignez-là doucement du rayon. Si un fil élastique de deux centimètres environ reste accroché à votre allumette de fortune, il s’agit sûrement d’un loque américaine.

La solution court terme est la destruction totale des rayons par le feu, avec transvasement de la colonie dans une ruche saine et désinfectée. On prendra soin de désinfecter à la flamme la ruche infectée. La loque américaine est fortement contagieuse, il est important d’agir pour le bien des colonies environnantes.

La solution long terme est d’éviter les terrains propices aux loques. Une colonie faible trop longtemps, est sans doute d’une génétique problématique par exemple. Un manque de pollen prolongé, en créant une carence de protéines, peut également être la source du développement de la maladie. Enfin, on sait que le stress de la colonie peut favoriser l’apparition de loques, évitez d’ouvrir les ruches, les déplacer, les déranger trop souvent.

D’autres maladies existent : Nosémoses, mycoses… En règle générale, un apport régulier de pollen sur toute la saison et une génétique rustique suffisent à éviter ces problèmes. Mais soyez vigilant sur vos créations d’essaims, et ne reproduisez pas des reines qui développent ces maladies.

Évitez également de «sauver» des ruches faibles avec du sirop, cela fait survivre des colonies non adaptées à leur environnement. Enfin, le traditionnel «rééquilibrage» des colonies, consistant à prélever des cadres dans les ruches fortes pour les donner aux plus faibles, est bien sûr à proscrire. Il cache les problèmes des colonies faibles et transmet les pathogènes aux ruches voisines. Mieux vaut compter sur la sélection naturelle et favoriser les divisions sur des colonies fortes, adaptées à leur biotope, et suffisamment rustiques pour gérer les pathogènes et parasites.

Afin d’en avoir le coeur net, j’ai donc procédé à la vérification systématique des cadres de couvain restants. Ce couvain, mort car abandonné depuis trop longtemps, n’était pas victime de problèmes sanitaires. Après observation et test de l’alumette sut toutes les ruches, je n’ai détecté aucun soucis de ce type.

La cause de la mort des ces colonies ne semblait donc pas se situer dans la ruche, mais plutôt à l’extérieur de celle-ci. C’est sans doute dans l’environnement que se situe la clé. Mais il me faudrait éplucher à la loupe les 2 600 hectares qui forment la zone de butinage de mes colonies, ce qui m’est impossible faute de temps et de compétences.

Et les pesticides dans tout ça ?

Les intoxications éclairs se font aujourd’hui plus rares, la législation et les modes d’application des produits phytosanitaires ayant légèrement évolué ces dernières années.

Nous ne sommes malheureusement pas débarrassés pour autant du problème des pesticides. En effet, l’apport quotidien de molécules diverses dans les ruches est sans aucun doute une des clés pour comprendre l’effondrement des colonies (voir en bas de page ref.1). On sait aujourd’hui que la présence de certaines molécules dans la ruche favorise l’apparition de la Nosémose (voir en bas de page ref.2), ou encore la prolifération des varroas (voir en bas de page ref.3).

Certaines études existent également qui mettent en cause les pesticides sur la question du manque de fertilité des faux-bourdons (voir en bas de page ref.4). La conséquence logique étant des reines bourdonneuses plus rapidement, mal fécondées, voir incapables de faire redémarrer la colonie après un essaimage ou un remérage.

Il n’y a malheureusement pas de solution court terme à ce problème. Faire évoluer l’agriculture et les modes de production, avoir un mode de vie moins destructeur, sont des solutions long terme, dont la lente évolution actuelle n’est pas à la hauteur de l’urgence devant laquelle nous sommes.

J’en suis donc là, sans avoir pu trouver la cause de la mort soudaine de dizaines de mes colonies. Comme mes abeilles, qui face au désastre de la destruction de leur biotope continuent jusqu’au dernier souffle à vivre malgré les épreuves, je vais devoir faire preuve de résilience. Je vais reproduire les colonies restantes, et faire vivre au mieux celles qui restent. Je vais continuer à améliorer leur lieu de vie, en plantant chaque année des haies, des ressources mellifères, en laissant de grandes zones de prairie sauvage...

A ceux qui souhaitent m’aider

Je ne ferai pas de cagnote ou de financement participatif, car ce n’est pas de l’argent qui sauvera les abeilles. Je ne vous demanderai pas de faire quelque chose, car il me semble que l’être humain en fait déjà bien trop. Si vous souhaitez m’aider, c’est très simple, il suffit d’en faire moins.

Moins de tonte de pelouse, pour laisser s’épanouir de grandes zones de friches. Moins de constructions, pour ne plus bétonner ce qui est le territoire des abeilles. Moins de consommation, pour ne plus faire fonctionner une société excessive, qui entraine la contruction de zones marchandes, d’usines, autant de territoires sans aucune vie ni aucun sens. Moins de luxe, moins d’objets, dont la production cause la destruction de millers de kilomètres carrés de territoire, dont la transformation produit une pollution désastreuse de l’environement de l’abeille, et dont le recyclage est une illusion. Enfin, et surtout, consommons moins de produits issus de l’agriculture intensive, et favorisons une production locale, plus saine et diversifiée pour les abeilles.

Article rédigé pour la revue Abeilles en Liberté, disponible sur leur site uniquement sur abonnement.

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