Jardin Sauvage | Lolif
Mathieu Angot - Formateur en apiculture - Conférencier

Quitter l’apiculture par passion pour l’abeille

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6 juillet 2022

En un peu plus de dix ans, je suis passé d’apiculteur amateur rêvant de s’installer, à pluriactif avec une centaine de colonies en production, puis modeste expérimentateur en apiculture naturelle de production... Aujourd’hui, je prends la décision de simplement arrêter cette apiculture.

En finir avec le productivisme

Ce n’est pas une décision facile. Premièrement, cela sonne comme un échec. Dans un monde apicole calqué sur le modèle productiviste, passer de cent colonies à une dizaine au fond du jardin cela ressemble à un abandon. Socialement, il va falloir expliquer ce choix aux collègues, aux clients, aux amis et perdre le capital sympathie associé au statut d’apiculteur, ce sauveur autoproclamé de la biodiversité. C’est sans doute pour cette raison qu’il m’a fallu quelques nuits blanches pour finir par me rendre à l’évidence : je ne souhaite plus avoir une relation « économique » avec l’abeille.

La voie du milieu

J’étais depuis plusieurs années en recherche d’une « voie du milieu », d’un compromis entre respect de l’abeille et productivisme. Mais je n’ai jamais été doué pour les compromis. Le mot sonne faux à mon oreille. Compromis, compromission, lâcheté... J’ai toujours été du côté de la radicalité. Je ne vote pas. Je suis pour l’abolition de la voiture. Et si vous me donnez le choix entre le nucléaire et la bougie, je choisis la bougie sans hésiter. En cire d’abeille de préférence, autoproduite bien sûr. Et pas uniquement par provocation.

Je me suis sans doute trompé de voie, encore fallait-il l’explorer pour le découvrir. Cette décision est pourtant logique. Je pensais être passionné par l’apiculture, alors que durant tout ce temps, j’étais passsionné par l’abeille ! Il y avait pourtant des indices. Je peux en effet passer des heures à observer les insectes dans mon jardin, ou les allers et venues des butineuses au trou de vol de mes ruches, mais je ne vais les ouvrir qu’en cas de besoin impérieux. J’aime ouvrir les ruches, observer mes essaims nouvellement créés, mais récolter le miel et le vendre n’a jamais été la partie du travail que j’ai préféré. J’ai toujours préféré les ouvrages d’un Thomas Seeley ou d’un Jorgen Tautz sur les colonies mellifères sauvages, plutôt que le traité Rustica de l’apiculture... Produire du miel ou des essaims n’était finalement qu’une conséquence heureuse de cette passion pour l’abeille.

Ces années durant, j’ai cherché une apiculture viable pour l’abeille. Durable, dit-on aujourd’hui, c’est la mode. À force de recherches et d’expérimentations, cela m’apparait maintenant évident : la seule apiculture durable est une apiculture qui n’est pas un métier. Dans tous les lieux sur la planète où l’abeille foisonne et s’épanouit, il n’y a pas d’apiculture professionnelle, ou très peu. Il y a aussi, souvent, des zones de forêts et des zones naturelles dans lesquelles elles trouvent leurs ressources. Chez nous, où l’apiculture est professionnalisée, mécanisée, industrialisée, à l’image de tout le territoire qu’elle butine, l’abeille meurt dans des proportions inégalées ailleurs.

Dessin de Rob Messick, extrait de Home. A Bioregional Reader (1990)

Le secret de la réussite

Avant d’arrêter, je ne serai pas mesquin, je vais vous donner le secret pour une exploitation apicole florissante : gérez les pertes d’abeilles, anticipez les mortalités. Tout tient dans cette formule : ayez un bon taux de renouvellement de vos reines. Portez à bout de bras, à chaque saison, et sans jamais mollir, ce qui reste de vie dans les ruches. Cachez la misère. Courrez plus vite que la catastrophe pour ne pas qu’elle vous rattrappe. Votre taux de renouvellement ne devra jamais être sous les 30 %, souvent proche des 50 %. Si vous ne rechignez pas à écraser entre un tiers et la moitié de vos reines pour les remplacer par des neuves, chaque printemps, alors vous réussirez. Vous pourrez vivre de votre métier. Je n’aurai aucune rancoeur envers vous si vous choisissez cette voie, j’aime le miel, et sans apiculteurs, il n’y a plus de miel. Mais simplement, je n’en peux plus de porter sur mes épaules, saison après saison, le peu de chances de survie d’une abeille déjà morte. Je ne veux plus, comme un petit Sysyphe en combinaison blanche, remonter un cheptel en permanence, qui s’écroulera sur l’autre versant de la montagne.

Je m’en vais explorer d’autres voies, ouvertes par les pionniers de l’apiculture naturelle. Je suis reconnaissant envers tous les apicuteurs qui m’ont beaucoup transmis, et continueront de le faire, et j’espère qu’ils comprendront ma décision de quitter l’équipe. De ces apicuteurs, le premier fût Jacky, qui, ayant pris d’autres chemins entre temps, m’aura fait entrer dans l’apiculture pour finalement m’aider à en sortir. Je médite aujourd’hui sur cette citation qu’il m’a dîte un jour : « La vie recommence chaque matin ».

Ce texte est paru dans le magazine "Abeilles en Liberté" d'avril 2022. Revue disponible uniquement par abonnement.

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